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LA PSYCHIATRIE, UN SERVICE PUBLIC ATTAQUE par Jean Pierre Martin

mardi 11 janvier 2005.


Les politiques néo-libérales ne se contentent pas d’annoncer tous les jours qu’il faut soumettre les services publics aux lois du marché, elles passent déjà dans la pratique quotidienne avec des effets visibles d’altération des services rendus aux usagers traités de plus en plus comme des clients, ainsi que sur l’organisation et les finalités du travail des salariés dans une logique concurrentielle. Ainsi depuis plusieurs années l’hôpital public est devenu le champ de critères de gestion qui se rapprochent ouvertement de ceux d’une entreprise du privé.

LA PSYCHIATRIE, UN SERVICE PUBLIC ATTAQUE par Jean Pierre Martin

Les politiques néo-libérales ne se contentent pas d’annoncer tous les jours qu’il faut soumettre les services publics aux lois du marché, elles passent déjà dans la pratique quotidienne avec des effets visibles d’altération des services rendus aux usagers traités de plus en plus comme des clients, ainsi que sur l’organisation et les finalités du travail des salariés dans une logique concurrentielle. Ainsi depuis plusieurs années l’hôpital public est devenu le champ de critères de gestion qui se rapprochent ouvertement de ceux d’une entreprise du privé.

Il est important de souligner d’emblée que ce cours de l’hôpital-entreprise s’intègre dans une remise en cause globale de la protection sociale si durement acquise par la classe ouvrière et les forces démocratiques depuis 1 siècle, avec l’instauration de l’Etat Social.

Je vais l’aborder ici à travers l’exemple de la psychiatrie, qui est restée longtemps le champ d’une hospitalisation fondée sur l’enfermement et la stigmatisation de la folie, et dont l’évolution est étroitement liée aux conquêtes sociales.

A la suite de Didier Ménard qui a exploré les effets de ces politiques sur les pratiques de soins de la médecine générale, il est manifeste qu’il en ait de même en psychiatrie où les acquits des 50 dernières années ont permis une clinique fondée sur le relationnel, le travail avec les tiers, le temps à prendre pour créer une rencontre et une continuité, ouvrant le soin à des préventions possibles. Ce mouvement s’est confronté à la médicalisation de la psy et l’utilisation des médicaments, dans un rapport où selon les équipes le médical était plus important, mais restant toujours une référence théorique aux pratiques. C’est ce mouvement qui est profondément remis en cause aujourd’hui, le médico-administratif et l’acte médical individuel remettant en cause le temps nécessaire au relationnel, au réseau avec les tiers et à l’accompagnement social. Les médicaments sont devenus un véritable cheval de troie de l’industrie pharmaceutique privée qui tente d’imposer de nouveaux protocoles fondés sur ses normes d’efficience immédiate pour vendre ses produits.

Avec la politique de secteur le service public de psychiatrie est devenu une réalité de terrain, par le développement de structures d’accès aux soins, de continuités de prise en charge sur le terrain qui ne passent pas par l’hôpital psychiatrique (le rapport Joly de 1997 cite moins de 5% des prises en charge qui passent par l’hôpital), ce qui a transformé les pratiques à l’hôpital même introduisant des séjours courts médicalisés au sein des logiques asilaires.

Cet état des lieux serait suffisant en soi pour défendre ce service public, quelque soient les avatars de la réelle application des fondamentaux du secteur, ce qui ne doit pas nous limiter à cela car les réelles pratiques de secteur permettent d’explorer ce que peut être un véritable service public universel.

Car cet acquis est aujourd’hui profondément menacé, en particulier quant au dispositif d’intégration dans les besoins collectifs de la communauté, par le paradigme économiste actuel :

-  dans ses restructurations qui au nom du coût constant s’effectuent par regroupements intersectoriels dans lesquels disparaissent des moyens humains qui sont le plateau technique de la psychiatrie, et sont accompagnées de limitations restrictives des dotations globales

-  dans la généralisation de critères médico-administratifs dans la gestion où l’efficience médicale est d’abord pensée vers les finalités administratives et comptables. Les médecins et les cadres infirmiers sont envahis de tâches administratives au détriment de l’animation soignante. Cette tendance s’étend au dispositif de terrain où les notions de filières de soins et d’urgence l’emportent sur le travail généraliste dans la population.

-  La notion d’évaluation et de saisie informatique vont dans le même sens, le quantitatif (files actives, nombre d’actes médicalisés, turn over rapide de l’occupation des lits...) prennent le dessus sur le qualitatif (services rendus).

La circulaire du 25/10/04 relative à l’élaboration du volet psychiatrie et santé mentale du schéma régional d’organisation sanitaire de troisième génération, à la suite du rapport Cléry Meulin, Pascal, Koveis qui place l’acte médical au centre du travail de thérapeutique, accélère ce cours dans lequel le secteur n’est plus qu’un outil parmi d’autres (en particulier le privé) et non plus la finalité politique du dispositif.

Ce service public est ainsi référé à des étayages théoriques bio- comportementaux d’efficience immédiate à visée d’éradication du symptôme, au détriment du relationnel (psychanalyse et phénoménologie) et du travail sur des situations humaines globales.

Il en résulte une perte éthique fondamentale qui touche la place de sujet des patients et de leurs proches. Cela éclaire dans la pratique la place véritable que l’on donne au droit des patients, des familles qui voit des avancées réelles sur le plan juridique instrumentalisées vers un droit de consommateur de soins, au détriment des besoins sociaux collectifs renvoyés vers un secteur social lui-même appauvri et le caritatif.

Mais surtout il est appelé à s’intégrer dans un retour en force du sécuritaire qui s’appuie sur les peurs les plus archaïques, l’affaire du double crime de Pau étant exemplaire de ce point de vue : pourquoi le ou les meurtriers seraient ils à priori des patients psychiatriques comme les premières enquêtes et les médias ont pu le laisser entendre dans un premier temps ?

Cette résurgence est d’autant plus préoccupante que les placements sous contrainte restent en France déterminés dans l’amalgame entre obligation de soin (nécessité de soigner une personne sans son consentement si la gravité des troubles l’exige) et la dangerosité sociale (qui relève de l’ordre public et du pénal). De ce point de vue la réforme de la loi du 30 Juin 1838 par celle du 27 Juin 1990 n’a rien changé.

Les gouvernements de droite actuels dérivent gravement sur ce plan avec la loi Perben qui fait du malade mental un délinquant potentiel, inscription que l’on a pu retrouver sur un site du ministère de l’intérieur. Or c’est bien une éthique démocratique et citoyenne qui se trouve ainsi ramenée des décennies en arrière. Dans la même perspective on assiste également au retour d’une tutelle préfectorale omnipotente, en particulier quant aux soins aux sans papiers qui n’ont pas accès à la cmu.

Une des conséquences visibles au quotidien est que les recours à l’hospitalisation d’office (mesure de police) concernent prioritairement les populations précaires (sdf, sans papiers...).

Il en résulte une crise de la psychiatrie et des pratiques psychiatriques : quelle fonction sociale, quels liens avec une politique de santé mentale, cette attaque du service public de secteur psychiatrique met elle en perspective ?

Son aspect immédiat le plus explosif est le sous effectif infirmier dans les services d’hospitalisation (effet de 10 ans de réduction du nombre de place dans les écoles), qui entraîne des conditions de travail de plus en plus difficiles et beaucoup de souffrance professionnelle. Dans ces conditions sont apparues des difficultés de recrutement importantes quant les postes financés existent.

On doit y associer une crise du sens du travail de soin dans les équipes, alimentée par tous les éléments que nous avons précédemment décrits.

Un autre élément (redécouvert par le ministre Douste Blazy au moment du drame de Pau) est le manque de lits. Cette question interroge la façon dont les lits ont été fermés ces vingt dernières années : en effet nous sommes depuis longtemps favorable à la fermeture des hôpitaux psychiatriques comme lieux d’exclusion et de stigmatisation, mais elle signifiait la mise en place d’alternatives sur le terrain, y compris en termes de lieux d’hospitalisation de proximité que le développement des lits à l’hôpital général (1/3 des lits de psychiatrie actuels) n’a pas réglé du fait d’un manque de réflexion politique général sur le sens de l’hospitalisation dans la psychiatrie de secteur. Les lits ont donc été fermés ou redéployés pour des finalités purement médico- administratives et gestionnaires sans alternatives ; le système de gestion a donc produit sa propre crise d’un manque de moyens d’hospitalisation là où ils seraient utiles. Il ne faut pas négliger également la dimension sécuritaire de cette question.

Défendre le service public de psychiatrie est donc clairement une forme de résistance à l’attaque actuelle contre le secteur.

Un nombre important d’équipes de secteur a accumulé des expériences de terrain qui sont autant de lieux d’intégration des soins dans la communauté urbaine ou rurale. Nous citerons ici :

-  les centres d’accueils et de crise ouverts 24h sur 24 sur le terrain (peu nombreux sauf en région parisienne ils sont les premiers touchés par le retour des moyens vers l’hôpital).

-  Le rôle des centres médico-psychologiques comme lieux de consultation et de suivi est le cas le plus fréquent, enrichi ces dernières années par le travail dit de réseau avec les autres intervenants de terrain

-  Quelques équipes travaillant à l’hôpital général et aux urgences ont produit des dispositifs de qualité dans la mesure où ils étaient reliés à une véritable activité de secteur

-  Le travail de réseau vers les familles et les populations précaires ont amené un début de réflexion sur ce que peut être une politique de santé mentale et d’accès aux soins

-  La place des associations de famille et de patients s’est développée, même si elle reste très en retard par rapport à de nombreux pays européens

Cette expérience est fondamentale pour penser un véritable service public sectorisé qui renverse la tendance actuelle du retour des moyens vers l’hospitalisation. Elle suppose que soit enfin débattue le sens de l’hospitalisation en psychiatrie et les formes alternatives qu’elles peuvent prendre par rapport aux hôpitaux psychiatriques au lourd passé asilaire.

Elle rejoint un débat de société plus général sur l’éthique du sujet dans le soin, sa place dans une politique de santé mentale et la sortie de l’amalgame avec la notion d’ordre public (critique des lois de contrainte actuelles).

Ce débat est aujourd’hui européen, pour ne pas dire mondial, tant la question des traumas de masse et de la santé mentale sont devenus une intervention essentielle des organisations humanitaires.

Dans les sociétés européennes cette question a pris la forme de la lutte contre les exclusions, désaffiliations, de la souffrance au travail et des ravages de l’individualisme consommateur sur la pérennité du lien social. La psychiatrie est au carrefour des effets des politiques néo-libérales de libre concurrence sauvage qui détruisent les dimensions symboliques qui permettent aux identités de se construire. Ce n’est pas le moindre aspect de sa défense comme service public.

Jean Pierre Martin le 7 Janvier 2005

Jean Pierre Martin Psychiatre à Paris est membre de l’Union Syndicale de la Psychiatrie

7 Janvier 2005



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