La biodiversité victime du développement

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La biodiversité victime du développement, Les Echos, 04/01/05

Les paléontologues du Muséum national d’histoire naturelle s’inquiètent pour la biodiversité animale, menacée par les activités humaines.
« Il ne reste plus qu’environ 50.000 éléphants en Asie. Cette espèce est probablement perdue pour la biodiversité. » Au Muséum national d’histoire naturelle (MNHN), Régis Debruyne est sur la piste des pachydermes. Pour ce jeune paléontologue, l’expansion des activités humaines va sonner le glas de cette famille de mammifères débonnaires et boulimiques. « Le XXIe siècle verra disparaître tous les éléphants sauvages de la surface de la terre. Au début du XXe siècle, ils étaient entre 3 et 7 millions », précise Régis Debruyne. Les éléphants d’Afrique, pourtant dix fois plus nombreux que leurs cousins d’Asie, ne s’en sortent pas mieux. « Leur territoire se réduit d’année en année. Il n’en reste plus que quelques centaines en Côte d’Ivoire et plus un seul au Togo. On compte environ 400.000 pachydermes en Afrique. Mais leur taux de disparition est 10 fois plus rapide que celui de leurs congénères d’Asie », regrette Régis Debruyne. Selon cet expert, les tentatives de conservation artificielle des espèces ne sont qu’un palliatif. « Quand les programmes de sauvetage d’une espèce sont lancés, il est déjà trop tard. La préservation n’a de sens que si on maintient les animaux dans leur milieu naturel », observe ce scientifique.
Habitués à explorer le passé à partir d’indices parfois très minces, les paléontologues jettent un regard clinique sur la biodiversité. « Pour nous, 500.000 ans est une période courte. Les techniques actuelles ne nous permettent d’ailleurs pas de faire beaucoup mieux dans la datation des événements », précise Philippe Taquet, directeur du laboratoire de paléontologie du MNHN.

Extinctions massives
Depuis l’apparition de la vie sur Terre il y a environ 3,8 milliards d’années, la planète a connu cinq extinctions massives des espèces vivantes. Certains spécialistes estiment aujourd’hui que la Terre traverse régulièrement des nuages de matière interstellaire, pendant son voyage au long cours dans la Voie lactée. Chacune de ces rencontres déclenche des averses de comètes et de véritables catastrophes climatiques sur la Planète bleue. « A la fin du permien, près de 70 % des espèces existantes ont été éliminées d’un seul coup. Ces phénomènes font partie de la vie. Ce qui est intéressant, c’est de savoir comment la vie redémarre pour conquérir le nouvel écosystème qui vient de se créer, poursuit Philippe Taquet. Les dinosaures n’ont pas véritablement disparu il y a 65 millions d’années. Ils ont donné naissance aux oiseaux. »

« Accumulation de causes »
En fait, les espèces se livrent depuis toujours une concurrence sans pitié pour occuper leur niche écologique. Selon la formule empruntée par Darwin au philosophe du XIXe siècle Herbert Spencer, en cas de variation de l’environnement, « seuls les plus aptes survivent ». « Face à un bouleversement de la composition atmosphérique, certains organismes trouvent la parade. Mais si le changement climatique est trop rapide, l’évolution est prise de court. De plus, la compétition est toujours plus dure pour les animaux de grande taille », remarque Philippe Taquet. « Les crises n’ont pas le même impact pour tout le monde », reprend Philippe Janvier, spécialiste des poissons primitifs au MNHN.
En fait, les extinctions massives du passé ont été beaucoup plus lentes qu’on ne l’imagine généralement. « Plus personne ne croit à l’hypothèse de la chute d’un astéroïde ayant entraîné la fin des dinosaures. Il s’agit en fait d’une accumulation de causes », remarque Philippe Taquet. La célèbre théorie de l’Américain Walter Alvarez, imputant la disparition des terribles lézards au choc d’un astéroïde avec la Terre il y a 65 millions d’années, est aujourd’hui remise en question. « Cette hypothèse a été acceptée dans un contexte de «guerre des étoiles». Elle comporte un contenu biblique de fin du monde qui séduit toujours les Américains. Personnellement, je n’ai jamais marché. En fait, le déclin des dinosaures était déjà largement entamé. L’impact de l’astéroïde découvert par Alvarez n’a été que le coup de grâce », précise Philippe Taquet, visiblement pas mécontent de démolir la thèse de son confrère américain.
Quelles sont les causes de ces désastres biologiques ? Quel sera l’impact du réchauffement en cours sur la faune et la flore actuelles ? Comment protéger les espèces les plus vulnérables ? Le sommet sur la biodiversité, organisé par l’Unesco à la fin du mois à Paris, évoquera ces questions et n’apportera sans doute pas de réponses définitives.
Pour les trois experts du MNHN, deux faits semblent incontestables. « Jamais une espèce n’a autant dominé et menacé les autres habitants de la planète comme le fait actuellement l’homme », indique Philippe Taquet. Et jamais dans l’histoire de la Terre les changements climatiques n’ont été aussi brutaux. « Nous mesurons une accélération des phénomènes dans le très court terme », remarque Philippe Janvier. « Le plus choquant, c’est le rythme des modifications résultant des activités anthropiques », complète Régis Debruyne.

« Déjà trop tard »
Quels éclairages peuvent apporter ces spécialistes des mondes anciens dans le débat actuel ? « Les paléontologues ont des choses à dire. La connaissance du passé peut nous permettre de comprendre ce qui pourrait arriver dans l’avenir », résume Philippe Taquet. Mais nombre d’inconnues subsistent. Selon la formule forgée par les spécialistes américains de la biodiversité, pour survivre à un choc environnemental majeur, un organisme ne doit avoir ni « bad luck » ni « bad genes » (ni malchance, ni de mauvais gènes). Dans ce contexte, le sort de certains mammifères semble déjà scellé. « Pour le tigre, c’est déjà trop tard », regrette Régis Debruyne.
ALAIN PEREZ

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