La France c’est l’histoire de deux peuples irréconciliables.

Ce pays c’est la France, celle des banquiers et de leurs prodigieux bonus, celle de la clique des gros contribuables qui parviennent Dieu sait comment à ne pas payer d’impôts, et puis c’est la France des autres, celle des anonymes, celle de ceux qui ne comptent pas, celle de ceux qui vivent sans vivre, ces gens en train de balayer ou de vaquer à toute sorte d’occupations qu’on remarque à peine…

Tiens, prenez par exemple Fréderic Oudéa, PDG de la Société générale qui vient d’annoncer qu’il versera 250 millions d’euros à ses 2600 opérateurs de marché, nous avons bien dit « opérateurs de marché », cette mesure ne concerne bien évidement qu’une fraction infime du personnel de la banque, cela ne concerne pas les guichetiers qui devront se contenter de leurs salaires et encore moins les femmes de ménage qui se lèvent de bonne heure pour nettoyer les locaux des nombreuses agences de la Société Générale éparpillées sur le territoire de ce beau pays de France.

Ces femmes de ménage, une journaliste, Florence Aubenas, à décidé de partager leur sort pendant quelque mois, qu’on ne s’inquiète pas son calvaire n’a duré que 6 petits mois.

« Voir les choses à hauteur d’être humain« , tel est l’engagement de la journaliste qui s’est inscrite dans un Pôle emploi de Caen, en précisant qu’elle n’avait pas de qualification particulière.

Devenue chômeuse dans la France de Sarkozy, anonyme, elle enchainera les petits boulots qui font les petites vies : les ménages sur un ferry, l’humiliation et l’épuisement d’une condition misérable qui ne vous permet plus de penser et d’écrire et encore moins de rêver…

Quand on trime comme un âne du matin au soir on a plus la force de raconter, de parler, d’autres le font à votre place, sauf qu’à ce petit jeu la journaliste à finit elle aussi à ne plus trouver les mots ni la force pour exprimer sa nouvelle condition de prolétaire.

Pour Florence Aubenas la fin de cet enfer est simple, il lui a suffi de décrocher son téléphone et de rentrer à Paris pour laisser tout ça derrière elle, retrouver sa rédaction, les lumières de Paris, loin des serpillères et des faims de mois difficiles.Cette chance de tout plaquer, de tourner la page qui l’a dans cette société ?

Cet enfer de 6 mois dans le réel, cette immersion dans la brutalité d’un système devenu fou fait partie du passé de la journaliste quand il est le présent à vie de ces femmes bonnes à tout faire.

Alors oui nous parlons bien de 2 France, irréconciliable, la France de ceux qui ont tout et la France des autres, des laissés pour compte, des chômeurs du Pôle emploi et des radiations qui menacent les récalcitrants, je veux parler de ceux qui ont assez de rêves pour refuser l’existence misérable qu’on leur propose…

La France de Mr Oudéa c’est celle des fermiers généraux d’avant la Révolution, celle des prébendes et des privilèges payés par d’autres, toujours les mêmes, ceux qui se lèvent tôt et vivent de peu.

Ces deux France ont-elles encore quelque chose en commun ?

Qu’avons-nous en communs avec des gens qui gagnent 100 000 euros par mois ?

Qu’avons-nous en commun avec des gens qui ignorent à ce point les réalités humaines de ce monde au point de se vautrer à ce point dans l’obscénité ?

Sommes-nous du même peuple ? Quelle communauté de destin partageons-nous avec cette clique ?

Je ne doute pas une seconde pour ma part que l’Histoire y mette bon ordre, un jour, le plus rapidement possible espérons-le…

La crise ? Quelle crise ? Pour les banques, la période reste florissante, si l’on en croit les bilans annuels qui sont tombés ces jours-ci. Au tour de la Société Générale : son Pdg Frédéric Oudéa, qui a pris en mai dernier la succession de Daniel Bouton, a annoncé jeudi sur la radio BFM que sa banque a enregistré l’an dernier un bénéfice de 678 millions d’euros et qu’elle versera 250 millions d’euros de bonus à ses opérateurs de marché en 2010 au titre de 2009.

Selon la banque, cette somme représente une baisse de 60% par rapport à ce qui se pratiquait «les années précédentes». Quelque 2.600 personnes devraient bénéficier de cette enveloppe de bonus, ce qui représente une rémunération variable moyenne de près de 96.000 euros.

Frédéric Oudéa a cependant précisé, lors de la conférence de presse de présentation des résultats, qu’il renonçait à son bonus, à ses stock-options et à recevoir des actions gratuites au titre de 2009. Il a ajouté que le conseil d’administration avait entériné ce choix.

Les quais de Ouistreham

http://culture.france2.fr/livres/actu/florence-aubenas-dans-la-peau-des-precaires-59114610.html?onglet=videos&id-video=MAM_2500000000007434_201002181412_F2

Jamais, sans doute, elle n’était partie aussi loin. Dans son métier, pourtant, Florence Aubenas a l’habitude de prendre le large : être reporter, c’est cela, s’en aller. En vingt ans et pour différents journaux (Le Matin de Paris, Le Nouvel Economiste, puis Libération et maintenant Le Nouvel Observateur), elle s’est rendue dans des banlieues difficiles aussi bien que dans des pays en guerre, dans des commissariats comme dans des tribunaux ou des usines en grève, et s’il avait fallu aller sur la Lune, sûr qu’elle aurait décollé avec entrain. Curieuse, forte, impatiente – jusqu’à payer le prix fort : un jour de 2005, à Bagdad, des hommes l’ont kidnappée, puis tenue prisonnière, en compagnie de son accompagnateur irakien. De cette captivité longue (157 jours), difficile, elle s’était sortie avec une grande dignité et une certaine notoriété.

Cette fois, pourtant, la journaliste n’a pas pris l’avion. Elle n’avait pas de passeport, ou pas besoin d’en avoir. Et pas sa carte de presse en travers du ventre, comme sésame ou comme bouclier. Là où elle allait, ce n’était pas la peine : Caen, deux heures de Paris, autant dire la porte à côté. C’est dans cette ville pourtant, si près de tout, qu’elle a été le plus loin, en termes humains et professionnels. Pendant près de six mois, Florence Aubenas est devenue « Madame Aubenas », 48 ans, sans qualification particulière – une chômeuse parmi d’autres, des dizaines d’autres qui ne l’ont pas reconnue, à de très rares exceptions près. Jour après jour, elle s’est immergée dans la foule informe des demandeurs d’emploi, de ceux qui errent d’un CDD sous-qualifié à un boulot sous-payé – de toute cette cohorte pour laquelle il est évident qu’on ne trouve plus de travail, seulement des « heures » par-ci par-là, et encore, avec de la chance.

Quand l’idée lui est venue de tenter l’expérience, Florence Aubenas avait lu plusieurs livres autour du procédé d’immersion, à commencer par Tête de Turc (La Découverte, 1986), de Günter Wallraff, le plus célèbre de tous. A l’époque, elle s’interrogeait sur l’efficacité de la pratique journalistique. Un article peut-il permettre de faire changer les choses ? « On nous disait : « C’est la crise, tout va être englouti », et moi, assise à mon bureau, j’étais déroutée : le réel se dérobait. Depuis que j’étais dans le monde du travail, la crise était toujours là, omniprésente et intangible à la fois. Je ne comprenais pas. »

Elle parle avec un sourire clair, le menton posé dans sa main. Rien de poseur, rien de forcé, dans ce café parisien où elle boit un crème, puis un autre. « Mon boulot, c’est de faire avec le réel. De voir les choses à hauteur d’être humain. » Ne pas chercher à démontrer, mais à comprendre. Ce travail, Florence Aubenas l’aime absolument. « Ma vie à moi, c’est d’être journaliste. C’est mon identité profonde. » D’où sa décision de partir pour Caen, où elle s’inscrira au chômage et mènera la vie d’une demandeuse d’emploi, pour « raconter cette France qui ne s’en sort pas » : faire son boulot, mais en plus long, en plus profond, donc en plus éclairant. Ne pas aborder les gens avec un carnet à la main, mais « faire partie d’eux, avec toutes les limites que cela suppose ». Se mettre dans la peau d’une chômeuse, parce que « tout ne passe pas par les mots. Je voulais franchir la barrière du discours : vivre là, pour ne pas être tentée, par exemple, de m’adresser en priorité aux gens qui s’expriment bien, comme je l’aurais fait en tant que journaliste ».

Une forme « d’engagement » revendiqué, qui lui donne la force d’affronter l’inévitable reproche : celui d’être allée à Caen dans une position ambiguë, à la fois observatrice et participante, à découvert et camouflée. « Quand je me rends en Afghanistan ou ailleurs, c’est pareil : je vais voir des situations qui ne sont pas les miennes. On ne m’a jamais reproché d’aller au Rwanda ! »

Arrivée sur place, elle loue une chambre minuscule, se fabrique un CV plat comme la main (le bac, puis une vie de femme au foyer plaquée par son concubin) et se présente partout, des agences d’intérim à l’antenne locale de Pôle emploi. « Toujours à l’heure, toujours propre, je faisais attention à me présenter au mieux. » Ses cheveux sont teints en blond, elle porte ses lunettes en permanence, mais son nom n’est pas changé : Florence Aubenas. A ses amis, elle a dit qu’elle partait au Maroc, écrire un roman. Commence alors la ronde des heures passées à scruter les annonces, à remplir des fiches, à se faire rembarrer. « Dans mon esprit, il paraissait évident que j’allais trouver tout de suite. Et brusquement, j’étais devant des gens qui me disaient : « Non, pas possible, enfin, vous voyez bien… », sans même finir leur phrase. Evidemment, ça recadre ! »

En partant, elle avait prévu de rester jusqu’au moment où elle décrocherait un contrat à durée déterminée. Quatre mois lui paraissaient un délai raisonnable. Une fois sur place, il a bien fallu déchanter. « J’ai mis un mois et demi à trouver », dit-elle. Du travail ? Non, bien sûr : un maigre petit paquet d’heures, aux deux extrémités de la journée, sur le ferry qui traverse la Manche et dans des bureaux, des campings, des immeubles. Au début, elle prend des notes tous les soirs, puis seulement un jour sur deux, à cause de la fatigue. « Plus le temps passait, plus cela se rapprochait du journal intime. Au bout d’un mois, on lâche prise. Je n’étais plus quelqu’un qui surplombe, mais quelqu’un qui a perdu le contrôle et tente de surnager. » Finie la distance du journaliste. Elle, bien sûr, savait que l’expérience aurait une fin, qu’elle retrouverait son travail, son appartement, ses amis, ce qui fausse la donne. Mais en attendant, elle était là, en plein dedans, épuisée par des heures de balai et de serpillière.

Lui arrivait-il de penser à son expérience d’otage ? Non, pas vraiment, mais il est probable, remarque-t-elle, que « sans cette captivité, je n’aurais jamais eu le culot de faire ce que j’ai fait ». Braver l’appréhension de se faire démasquer, la peur du ridicule (celle de passer pour « Bécassine chez les pauvres »), mais surtout prendre « de la liberté avec le temps qui passe, cette matière si précieuse pour un journaliste ». Le temps du chômeur, fait d’attente et encore d’attente, de transports interminables (et non rémunérés) vers des lieux où l’on va travailler une heure, ce temps-là, bien sûr, elle n’en avait pas la moindre idée avant d’y être engluée.

Dans le livre, Florence Aubenas a gommé ce qui « relevait de la mise en scène personnelle », mais pas l’amitié qu’elle a pu ressentir pour tel ou tel de ses compagnons de travail (ou de non-travail). Les portraits qu’elle brosse d’eux, sans compassion, sans jugement, sont magnifiques. Et qu’ont-ils dit, quand elle leur a révélé qu’elle venait d’écrire ce livre ? « Beaucoup ne savaient pas quoi faire de cette information. Leur vie leur paraît tellement sans intérêt. » Bien qu’ils aient appris la nouvelle alors que le texte était encore modifiable, aucun n’a demandé à ne pas apparaître.

Elle, Florence Aubenas, n’a pas pu se résoudre à résilier le bail de sa chambre, à Caen. C’est dans ces quelques mètres carrés, loués 348 euros par mois, qu’elle a écrit une bonne partie de son livre. En se rendant là-bas, elle avait décidé d’utiliser l’argent que lui avait rapporté son livre sur le procès d’Outreau (La Méprise, Seuil, 2005). « J’avais mis cette somme de côté, c’était sacré : je me disais que je n’allais quand même pas acheter une voiture avec l’argent d’Outreau ! » Bien lui en a pris : jamais, en six mois de travail acharné, elle n’est parvenue à gagner de quoi survivre. Même très modestement.

Raphaëlle Rérolle

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2 réponses à “La France c’est l’histoire de deux peuples irréconciliables.”


  • Encore un billet choc ! BRAVO ! Si au moins les gens pouvaient se réveiller et comprendre ce qui se passe réellement ! Florence Aubenas …Digne d’admiration !

  • Je me suis souvent demandé pourquoi des guignols, des amuseurs publics, des chanteuses à 2 balles recevaient la légion d’honneur…
    En y reflechissant un peu j’ai compris : ces gens rendent un service immense à la classe dominante en nous endormant…
    Un tel service mérite bien la légion d’honneur quand même !

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